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lundi 25 juin 2012

Interview Ruby My Dear


Ca finira par se savoir : j'adore Ruby My Dear, tout simplement parce que sa façon inspirée et mélodique de faire du breakcore change de la violence déstructurée de beaucoup d'autres artistes dans le milieu. Sa musique regorge d'émotion et d'une grande beauté, que chaque écoute révèle un peu plus clairement.

Et "Karoshi", premier titre dévoilé du LP à venir, confirme largement ces propos.

Anticipant la sortie, le 29 juin, de son premier LP "Remains of Shapes to Come" sur mon label préféré Ad Noiseam (ça aussi, ça finira par se savoir), j'ai contacté le jeune homme derrière le projet pour qu'il réponde à mes questions. Résultat : une discussion franche et bon-enfant de deux bonnes heures, dont je ne vous laisse que le nectar. Au programme, l'évolution de Ruby My Dear, depuis les bidouilles de Doc Colibri jusqu'à la signature chez ADN (Igorrr, Whourkr, Wormskull, Mobthrow, Matta, Broken Note, Niveau Zero et plein d'autres), en passant par Peace Off (label de Rotator) ; mais aussi, en vrac : approche mélodique, références au jazz, décalage, rentre-dedans, second degré, question rituelle.




MZ : Pour commencer quelque part, comment est né Ruby My Dear ?
Ruby : J'ai commencé par faire des morceaux sous le pseudo Doc Colibri. Je crois que la premiere sortie était en 2008 ou 2009 sur le netlabel taïwanais Sociopath Recordings. Après 3 ou 4 EP, j'ai eu le "besoin" de changer de nom, pour en prendre un qui sonne moins comme une blague. Début 2010, je sors donc un premier EP sous le nom Ruby My Dear, "La Mort du Colibri", sur le netlabel danois (très orienté breakcore) Illphabetik, puis "Midnight Twist" sur Peace Off, "The Dreaming Tree" sur le label anglais Braincore Recordings...

MZ :  C'a été dur pour toi de trouver des labels pour distribuer ta musique ?
Ruby : Non, pas vraiment, car il y a énormément de netlabels... mais pour chaque sortie je devenais plus exigeant et me fixais de nouveaux objectifs, en envoyant des démos sur des labels plus qualitatifs (à mon goût).

Quand soudain... Un Peace Off sauvage apparait.

MZ : C'est donc toujours toi qui as démarché, y compris pour tes deux EPs sortis sur Peace Off ["Midnight Twist" et "Dada Twist"], ou "Ginkgo" qui est sur Acroplane ?
Ruby : Pour Acroplane, si je me souviens bien, oui, mais pour Peace Off, les choses se sont passées différemment. J'ai participé à une soirée Peace Off à Bordeaux le 18 juin (R.I.P Charles de Gaulle) 2010, où il y avait une grosse affiche : Rotator, MkL, Krumble, Stazma et d'autres. La soirée a peut-être fait dans les trente entrées. [NdR : Une honte. Allez aux concerts, soutenez les artistes, nom de Dieu !] Frank, qui s'occupe du label, a bien aimé mon set et m'a demandé de lui envoyer une démo. Quelques mois plus tard, je sortais un Peace Off digital. J'étais comme un fou pendant tout l'été, à guetter mes mails, attendant une réponse de Frank, parce que c'était totalement improbable pour moi de me retrouver sur ce label !

Arf, ce n'est que ton point de vue.

MZ : Du coup, c'était à peine ton deuxième EP sous le nom Ruby My Dear qui est sorti sur Peace Off, ça doit vraiment faire un choc... Tu as dû te sentir "vaguement" fier, non ?
Ruby : C'est sûr qu'après une sortie sur Peace Off, tu changes un peu de "statut"... La musique que tu vomis devient plus écoutée et considérée. Mais je n'étais pas vraiment fier, car j'ai du mal à être satisfait de ce que je fais. J'étais très content, mais j'en voulais encore.

MZ : Tu penses que ça a contribué à t'ouvrir la porte d'Ad Noiseam ?
Ruby : Je pense que, pour pouvoir sortir un album sur Ad Noiseam, il faut quelques références. J'aurais pu directement sortir des morceaux chez eux si ma musique avait été révolutionnaire... Dans mon cas, il valait mieux passer au préalable par différents (très bons) labels. Je ne suis pas non plus en train d'établir une hiérarchie des labels, Peace Off et Acroplane sont eux aussi de très bons labels...

MZ : Quelques retours, d'ores et déjà, sur le titre "Karoshi" ?
Ruby : Oui, mais j'ai envie de savoir ce que les gens pensent de l'album dans son ensemble. Pour le moment, je n'ai sorti que des EP, et le format est très différent : il faut rentrer dans le lard en quatre titres. Pour un album, il faut faire en sorte que treize morceaux puissent s'écouter à la suite. L'auditeur doit pouvoir respirer. C'est plus intéressant à mon sens, car j'y ai plus de liberté pour tester certaines choses.

Un titre surprenant... Karoshi, pour moi, c'était ça...

MZ : Pour l'instant, ce qu'on a pu entendre du Ruby My Dear millésime 2012, c'est "Karoshi", qui est un titre très axé sur la mélodie, plus accessible que beaucoup de titres des EP précédents, et le remix de "Gastro-Equestre" de Whourkr, bien sale et rentre-dedans... Est-ce que, dans l'ensemble, on peut s'attendre à un album quand même plus mélodique "à la" "Karoshi", et se dire que "Gastro-Equestre" était un aparté ?
Ruby : "Remains of Shapes to Come" est un album plus mélodique. Pour un album, je pense qu'il est important de mettre plus de morceaux mélodiques et de privilégier les ambiances "feutrées", pour éviter le rentre-dedans systématique (et rébarbatif à mon goût). Mais il y a du rentre-dedans quand même !

Un petit deuxième titre pour fêter ça : "Monk's Dream". Energique mais résolument peace.

MZ :  Dans ton processus de composition, est-ce que tu commences par poser tes lignes mélodiques, ou as-tu une approche plus rythmique ?
Ruby : Tout dépend du morceau. Pour une track plutôt mélodique, je travaille d'abord sur une suite d'accords. Par rapport à ce que je ressens, je réfléchis à la direction générale du morceau, aux sonorités des samples que je rajoute, et ensuite la rythmique. Pour un morceau plus rentre-dedans, j'envoie la rythmique et la ligne de basse, et puis en avant le maréchal !

Maréchaaaal, nous voilàààààà !

MZ : Je voulais te demander comment tu as choisi le nom "Ruby My Dear". Quel pont peut-on faire entre du breakcore et un des morceaux les plus langoureux de Thelonious Monk ?
Ruby : Je dirais que ce pont est au niveau des atmosphères que j'essaie de créer, un aspect qu'on retrouve surtout dans le dernier album, avec des moments de calme, des ambiances fumeuses très piano-bar. Je trouve aussi que le contre-pied est marrant, se servir du nom d'une balade de jazz comme d'un pseudo breakcore... Les deux sont liés : le décalage balade/breakcore et les ambiances.

MZ : Il y a des références dans les titres des chansons de l'album à venir, non ? "Monk's Dream", c'est par rapport à Thelonious Monk, non ? Et "Chazz" qui finit comme "jazz", c'est un peu gros comme coïncidence...
Ruby : Ce n'est pas une coïncidence, c'est voulu. D'ailleurs, je ne le cache pas. Monk a un jeu, une composition très particuliers, assez dissonants, et c'est pour cela que j'aime ce qu'il fait.

MZ : Il y a une influence jazz forte dans Ruby My Dear ?
Ruby : Je ne pense pas maîtriser suffisamment les codes du jazz pour m'en influencer vraiment. Ce sont plutôt les représentations collectives que l'on peut avoir de l'univers du jazz que j'essaie parfois de reproduire : le travail sur les ambiances, le crépitement de vinyl, le feutré... Le mec au piano, clope à la bouche, avec un verre de whisky à côté... Dit comme ça, ça fait un peu bobo qui se la pète, mais je n'habite pas sur la Butte. Pas encore.

Absolutely Thelonious. (Un verre de whisky et une clope sont probablement cachés dans cette image, sauras-tu éventuellement les retrouver ?)

MZ : Du coup, je pose quand même la question-qui-fâche : que dirais-tu à des gens qui te reprocheraient de sonner trop Venetian Snares ?
Ruby : C'est un peu le maitre dans le genre, et mon expérience du breakcore a débuté par lui ; par conséquent, c'est sûr qu'il m'a beaucoup influencé, mais je pense avoir évolué dans une direction plus personnelle. A mon goût, ses compos sont bien plus brutales que les miennes, d'ailleurs.

MZ : Et si j'évoque les noms de Lingouf ou Clotaire Premier pour faire des parallèles avec ta musique, tu en dis quoi ?
Ruby : Je dirais que je ne connais pas assez pour faire des parallèles, mais j'ai vu Clotaire en décembre dernier sur Paris, et ça bouge comme il faut sur scène !

Oh que oui, il casse du singe en live, le bougre.

MZ : Et au niveau des idées... Entre le discours de réconciliation avec soi de "Building Steam with a Grain of Salt" et le message d'infinie compassion de "Vocation", il y a quand même des messages très positifs qui passent dans ta musique, non ?
Ruby : Surtout des grosses conneries ! Ce sont des extraits de l'émission "Strip Tease" qui passait sur FR3. Il ne faut pas y chercher des messages, mais plutot un décalage qui m'amuse.

MZ : Pourtant, ce n'est pas vraiment en décalage avec les ambiances posées sur les tracks ?
Ruby : Effectivement, j'ai posé ces samples parce qu'ils allaient bien avec la musique. Dans "Vocation", on retrouve un thème religieux, mais le mec qui parle est particulièrement débile. Le décalage se fait entre le choix du sujet qui correspond avec la musique et ce qu'en disent les extraits vocaux choisis.

A titre de rappel.

MZ : Est-ce que tu as d'autres EPs et/ou collaborations prévues ? Des lives à venir ?
Ruby : Bientôt, un EP 6 titres qui sera en téléchargement libre via The Centrifuge, des morceaux plutôt acid. Je n'ai composé la première partie qu'avec des émulateurs de vieilles machines. Je travaille également sur un duo avec une chanteuse, plus orienté trip-hop/downtempo. Et quelques lives : le 30 juin au Fusion Festival en Allemagne, fin juillet au Norberg Festival en Suède, les 28 et 29 septembre en Belgique, et le 12 octobre à Bristol avec Igorrr, Krumble et Wheyheyhey.

MZ : Miam ! Et ma petite dernière question rituelle : si tu pouvais sauver seulement cinq des albums de ta discothèque de la grande apocalypse de fin d'année, lesquels garderais-tu avec toi, et desquels te débarrasserais-tu en premier ? (Je parle bien d'albums que tu possèdes, dont tu as une version physique.)
Ruby : Je garde "Drukqs" d'Aphex Twin, "Music to Make Love to your Old Lady By" de Lovage, "Remains of Punk to Come" de Refused [NdR : euh, non "Shapes of Punk to Come"... rappelle-moi, comment s'appelle ton album, déjà ?], "Amnesiac" de Radiohead et "Go Plastic" de Squarepusher. [NdR : il en ajoutera deux autres, bien que cela enfreigne les règles de départ. Il s'agit du tribute metal d'Abba et de "Identidade" de Benito Di Paula.] Je brûle Spineshank (j'avais quinze ans), Linkin Park (j'ai acheté ça entre deux packs de biere)... oh putain, j'avais gravé le premier album de Tryo, aussi... Les trois ensemble, ça fait du joli dossier, j'aime bien.

Merci beaucoup, Ruby My Dear.



Son site officiel : http://rubymydear.tumblr.com/

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